T’as pas 100 balles ?

Cet atelier a été créé en 2016 comme un défi : comment faire passer certaines notions agiles à un amphi de plus de 100 personnes ? La plupart des ateliers/jeux sont plutôt destinés à de petits groupes. J’en utilise beaucoup en formation pour une vingtaine de personnes, mais c’est rarement « scalable » comme on dit. On voit de temps en temps des témoignages sur certains ateliers menés à grande échelle, le Ball Point Game par exemple, mais mon idée était plutôt d’adapter le Penny Game que j’utilisais souvent en formation pour valoriser la collaboration, le time-boxing, les itérations et la priorisation par la valeur.

L’atelier a été utilisé pour la première fois à Agile Tour Paris 2016 comme atelier de conclusion, avec en effet une morale proche de celle du Penny Game. Je l’ai ensuite régulièrement utilisé chez Renault et il a évolué aussi bien dans son déroulé que dans sa conclusion grâce à divers feedbacks et mes propres expérimentations pour arriver à la version que voici. Ces dernières semaines, il a été joué dans un amphi de 400 personnes (donc 400 balles) chez Renault au Technocentre (c’est moi ) et 100 personnes (200 balles) chez Orange (c’est ma femme ) !
Ce fut un joyeux bazar, selon les dires de certains ! Et c’est ce qui m’amène à le partager largement, le nombre d’itérations et de feedback l’ayant fait atteindre, à mon avis, sa maturité (à vous de le faire évoluer).

Déroulement

Pour démarrer, il faut distribuer à chaque participant une ou deux balles (type balle de piscine à balle) de 4 couleurs différentes (je prends en général : violet, vert, bleu et orange) en proportions à peu près équivalentes. Il est possible (et même conseillé) d’ajouter quelques balles d’une 5ème couleur, jaune par exemple et une ou deux balles blanches, type balle en mousse ainsi qu’une ou deux balles noires d’une forme différente, en ballon de rugby par exemple (ces ajouts sont récents, liés à mon activité nouvelle à l’ingénierie qui est d’une complexité d’organisation et de produits supérieure à la DSI).

Ensuite l’animateur se place sur l’estrade (ou équivalent si c’est un amphi) ou au milieu des participants (si c’est une salle). L’enjeu est que certains participants soit tout près de l’animateur et d’autres le plus loin possible.

L’animateur place à côté de lui soit une mini-piscine d’enfant soit un carton ou équivalent qui sera la cible et le réceptacle pour les balles.

En terme de story-telling, ca commence ainsi : Le client est un enfant qui veut une piscine remplie de balles de 4 couleurs en proportions équivalentes.

Pour avoir un enfant à montrer, vous pouvez utiliser la présentation suivante ou inventer la vôtre (ou le faire sans présentation) : tas pas 100 balles (j’utilise habituellement des photos de mes enfants, mais ici je les ai remplacé par des photos neutres , ce n’est pas que je n’ai pas confiance en vous, mais Google n’est pas mon ami !)

Les règles sont les suivantes pour les participants :

  • Ils peuvent être debout ou assis (s’il y a des chaises)
  • Ils ne doivent pas se déplacer
  • Les balles doivent être lancées et non passées de la main à la main
  • Les balles tombées à terre y restent et ne sont pas ramassées

Ensuite l’animateur fait lancer les balles en séquence, couleur après couleur, chaque couleur ayant sa règle du jeu (vous pouvez essayer de tout lancer en même temps, mais j’ai peur que ce soit le fouillis et que tout le monde se mélange les pinceaux ) :

  • Première couleur, par exemple violet : les participants sont considérés comme des héros et n’ont besoin de personne. Ils lancent directement leur balle dans la cible.
  • Deuxième couleur, par exemple vert : les participants sont plus coopératifs et ils ont droit de lancer leur balle à un autre participant qui n’a pas de balle, qui lui/elle pourra lancer la balle sur la cible.
  • Troisième couleur, par exemple bleu : les participants ont deux relais et les relais peuvent avoir une autre balle dans les mains (mais une seule).
  • Quatrième couleur, par exemple orange : idem troisième couleur, mais trois relais sont possibles et les relais peuvent avoir autant de balles qu’ils veulent en même temps. Il est aussi possible que pour cette couleur, il y ait des valeurs écrites sur les balles. Alors le défi est de mettre dans la cible le maximum de valeur en 30 secondes à 2 minutes selon le nombre de balles (il faut en général 4 à 8 secondes pour amener une balle vers la cible, à moduler selon la disposition et la taille de la salle). Mais vous faites comme vous voulez !

A la fin de l’atelier, vous devriez trouver dans la cible ou piscine peu de balles violettes, une bonne partie des balles vertes, la plupart des balles bleues et globalement pas mal de balles orange, avec plus ou moins de grands chiffres (si les balles étaient numérotées)

Conclusion

La morale principale est que nous sommes bardés de mauvais réflexes ! En voici quelques exemples.

Réflexe 1
La collaboration des lancers avec relais se révèle plus efficace que l’héroïsme du premier lancer sans relais. Il vaut mieux collaborer que travailler dans son coin. Ce n’est pas nouveau, les êtres humains travaillent naturellement ensemble, mais comme ce n’est pas toujours le cas dans les entreprises. L’organisation doit favoriser la collaboration plutôt que laisser le travail en silo s’installer insidieusement.

Réflexe 2
Le culte des héros : celui qui lance à plusieurs mètres réussit, on le loue, mais celui qui rate à 1 mètre est considéré comme mauvais, sans tenir compte de leur compétence de lancer et de leur entrainement. Il est bon d’avoir quelques héros, mais miser sur leur existence et les « task forces » pour sauver tous les projets est une belle erreur.

Réflexe 3
En cas de relais, le 1er n’a qu’une opération : lancer. Chaque personne qui suit comme relais a deux opérations, recevoir et lancer, c’est donc plus difficile. Le dernier relais a aussi ces deux opérations mais le lancer est plus difficile car sa cible est fixe, mais inerte, elle ne pourra pas compenser un lancer imprécis. Les lancers sont collectifs sauf le dernier.
Même si le collaboratif doit être valorisé, cela ne doit pas non plus devenir un dogme, il y a des activités qui doivent être menées seul et d’autres dont la responsabilité restera individuelle.

Réflexe 4
Chaque partie de la salle ou amphi va trouver un processus de circulation des balles qui lui est propre. Il n’est pas toujours nécessaire d’avoir un seul processus pour la même activité quand elle est menée par différentes équipes. Avoir un seul processus pour certaines activités est profitable, mais pas nécessairement pour tous les sujets, notamment ceux qui sont pris en charge par des équipes. Vouloir rationaliser les processus et les organisations est un reste malheureux du taylorisme à tout crin.

Réflexe 5
Dans les amphis où j’ai animé ce jeu, les managers sont souvent en bas, donc au plus près de la piscine. Si les balles représentent des problèmes, on a là une simulation où tout le monde envoie tous ses problèmes en escalade au chef donc il est débordé et il ne sait pas déterminer ceux qui sont les plus importants, ou en tout cas, ca lui prend beaucoup de temps.

Réflexe 6
Par rapport aux balles orange si elles ont des valeurs : il n’est pas facile d’identifier les plus grandes valeurs s’il y a du monde dans la salle ou l’amphi, vu la pression du temps. Il faut laisser du temps aux équipes pour s’organiser un minimum, en interne et entre elles. Le chaos initial généré par une proposition d’auto-organisation est normal, il faut savoir le laisser passer et ensuite peut-être donner un coup de pouce aux équipes pour s’organiser entre elles, mais un coup de pouce, pas un coup de bâton !

Réflexe 7
Les balles jaunes, non lancées : elles représentent les compétences inutiles sur ce projets, elles n’ont pas servi, mais on les avait fait venir au cas où, vieux réflexe de ceinture, bretelles et parachute !
Il arrive aussi que ces personnes, pour ne pas se sentir désœuvrées voire soupçonnées de glandouiller, génèrent involontairement du délai en s’impliquant malgré tout dans le projet au lieu de dire : « Je ne sers à rien, donc je m’en vais voir ailleurs si mes compétences peuvent être utiles à d’autres ». La « loi des 2 pieds » ou de la mobilité bien connue des facilitateurs a de beaux jours devant elle.

Réflexe 8
Les balles blanches et noires : elles représentent les interfaces avec les équipes noires et blanches qui sont externes ou en soutien de notre équipe dans la salle ou l’amphi. Finalement comme ce sont des interfaces, les solliciter prend du temps et de l’énergie, il faut rédiger des cahiers de charges ou équivalent, on finit par ne pas les utiliser, on se débrouille en interne. L’interface a intérêt à ne pas trop fluidifier le travail sinon son job risque de disparaître, donc au lieu de faire de la liaison, elle fait de l’interfaçage où les équipes ne se parlent jamais en direct. Le travail est donc souvent fait en double. Il faut éviter ces interfaces et établir des relations d’équipe à équipe pour que la collaboration soit facile et efficace.

Réflexe 9
Balles orange : il faut donner de la valeur aux sujets si on veut motiver les équipes !

Réflexe 10
Le bouc émissaire : dans une chaîne, si un des lanceurs échoue, il sera pris comme bouc émissaire et les autres maillons de la chaîne, plutôt que de l’aider ou de trouver comment améliorer leur chaine, le désigneront comme responsable de l’échec.

Réflexe 11
La pression est mise sur une petite partie des participants, ceux qui sont près de la cible, qui ont beaucoup plus de boulot que les autres !
Du genre : « Ma stratégie est parfaite, c’est votre exécution, vous les petits, qui est nulle ! » Là encore un reste peu glorieux du taylorisme et de la séparation cols blancs/bleus.
On peut y voir aussi la notion « d’armée mexicaine » si vous voulez : un qui bosse, quinze qui donnent des ordres, pardon qui « managent » !

Et vous en trouverez certainement pleins d’autres ! Amusez-vous bien.

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